Pourquoi
l’Amérique poursuit-elle les exécutions?
L’argumentation
juridique derrière la poursuite du recours à la peine de mort
Les
Etats-Unis restent l’un des rares pays du monde occidental à continuer de
mettre à mort les criminels. Et, même sur ce territoire, les exécutions se
raréfient: 20 prisonniers tout juste ont été exécutés en 2016, les
chiffres traduisant une baisse depuis le nombre record de 98 exécutions en
1999. Par ailleurs, l’homme de la rue est moins enclin à soutenir la peine capitale.
A peine 60% des Américains approuvent la peine de mort en cas de meurtre, contre
80% dans les années quatre-vingt-dix. Huit Etats seulement ont procédé à une exécution
depuis 2015, et environ deux tiers des Etats ont soit aboli la peine capitale, soit
imposé un moratoire à son application. Toutefois, la peine capitale n’a pas
complètement disparu : au mois d’avril, sur une période de huit jours, l’Arkansas
a exécuté quatre personnes, pour éviter de gaspiller son stock de produits
servant aux injections létales, dont la date de péremption était proche. Et, le
mois dernier dans l’Etat de l’Alabama, un homme qui se trouvait dans le couloir
de la mort depuis 35 ans – et avait échappé à sept dates d’exécution — a finalement
été mis à mort. Pourquoi l’Amérique continue-t-elle d’exécuter des condamnés?
Suite à la décision
de la Cour Suprême, en 1972, dans le cadre de l’affaire Furman contre
Georgia, la peine capitale avait été mise en suspens. Cette peine était appliquée
de manière arbitraire et infondée, ce
qui constituait une infraction à l’interdiction du Huitième Amendement visant
les “sanctions cruelles et inhabituelles”, selon les juges. Si un facteur explique
pourquoi certains criminels se voient condamner à mort, alors que ce n’est pas
le cas pour la plupart d’entre eux, écrit Monsieur Potter Stewart, Juge à la
Cour Suprême “c’est bien celui de l’origine ethnique, facteur inadmissible d’un
point de vue constitutionnel”. Quatre ans plus tard, la Cour Suprême réintroduisait
la peine de mort dans le cadre de l’affaire Gregg contre Georgia, par
une majorité de 7 contre 2, sur le constat que les Etat avaient modifié leur
législation relative à la peine capitale pour répondre aux inquiétudes
soulevées par l’affaire Furman.
L’un des
moyens de comprendre pourquoi l’Amérique continue de pratiquer la peine de mort
consiste à examiner le Cinquième Amendement, qui prévoit que personne “ne se
verra ôter la vie (...) en l’absence d’une application régulière de la loi”. Comment
les auteurs de la constitution ont-ils pu interdire la peine capitale dans le
Huitième Amendement alors que, dans le Cinquième, ils envisagent explicitement son
existence? Dans l’affaire Gregg, le tribunal cite deux justifications pour
le recours à la peine de mort : la justice qui châtie en fonction des
seuls actes et l’effet dissuasif. Le châtiment, “expression de l’indignation morale
de la société face à un comportement particulièrement choquant”, écrit Monsieur
Stewart, est “essentiel dans une société harmonieuse, qui demande à ses
citoyens de s’appuyer sur des procédures juridiques, plutôt que de compter sur
soi-même pour réparer les injustices subies”. En d’autres termes, un crime abominable
mérite une peine proportionnelle à sa gravité. Il reconnaît que les
spécialistes ne sont pas d’accord entre eux quand il s’agit d’évaluer le
pouvoir dissuasif de la peine capitale, mais, insiste-t-il, “il ne fait aucun
doute que la peine de mort constitue un repoussoir important” pour certains criminels
potentiels.
Depuis
l’affaire Gregg, la Cour Suprême n’a cessé de réduire l’éventail des crimes
susceptibles d’entraîner une condamnation à mort. L’auteur d’un viol était passible
de la peine capitale en 1977. Les personnes souffrant de handicap mental et les
mineurs échappent à la peine suprême depuis 2002 et 2005, respectivement. Toutefois,
les chances sont faibles de voir cette peine, dont l’application a été
plusieurs fois restreinte, enterrée pour de bon, ce, malgré la croisade menée par
Stephen Breyer, Juge qui a exprimé son profond désaccord en 2015, dans
l’affaire Glossip contre Gross, où il était demandé si l’un des
composants des injections létales entraînait un risque de torture pour les prisonniers
avant qu’ils ne décèdent. Plutôt que “d’essayer de faire du bricolage pour
répondre aux failles juridiques de la peine de mort l’une après l’autre,” écrit-il,
l’heure est venue “d’une discussion approfondie sur une question plus
fondamentale : la peine de mort viole-t-elle ou non la constitution”. Il y a 23
ans, Harry Blackmun, Juge décédé depuis, prédisait, dans l’affaire Callins
contre Collins, que le système d’application de la peine capitale en
Amérique était “condamné à l’échec” et qu’alors “qu’il ne serait sans doute
plus de ce monde pour le voir”, il “croyait que cela finirait par arriver".
Sachant que la majorité conservatrice vient d’être renforcée à la Court Suprême,
avec la présence de cinq juges de ce camp désormais, l’heure de rendre des
comptes semble encore bien éloignée.
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