Odell Barnes Jr.

L'association Lutte Pour la Justice (LPJ) a été créée en 1999 pour soutenir Odell Barnes Jr., jeune afro-américain condamné à mort en 1991 à Huntsville (Texas) pour un crime qu'il n'avait pas commis et exécuté le 1er mars 2000 à l'aube de ses 32 ans. En sa mémoire et à sa demande, l'association se consacre à la lutte pour l'abolition de la peine de mort aux Etats-Unis et en particulier au Texas. (voir article "Livre "La machine à tuer" de Colette Berthès en libre accès" ) : https://www.lagbd.org/images/5/50/MATlivre.pdf

mardi 22 août 2017

Pourquoi l’Amérique poursuit-elle les exécutions?


Pourquoi l’Amérique poursuit-elle les exécutions? 

L’argumentation juridique derrière la poursuite du recours à la peine de mort

 

Les Etats-Unis restent l’un des rares pays du monde occidental à continuer de mettre à mort les criminels. Et, même sur ce territoire, les exécutions se raréfient: 20 prisonniers tout juste ont été exécutés en 2016, les chiffres traduisant une baisse depuis le nombre record de 98 exécutions en 1999. Par ailleurs, l’homme de la rue est moins enclin à soutenir la peine capitale. A peine 60% des Américains approuvent la peine de mort en cas de meurtre, contre 80% dans les années quatre-vingt-dix. Huit Etats seulement ont procédé à une exécution depuis 2015, et environ deux tiers des Etats ont soit aboli la peine capitale, soit imposé un moratoire à son application. Toutefois, la peine capitale n’a pas complètement disparu : au mois d’avril, sur une période de huit jours, l’Arkansas a exécuté quatre personnes, pour éviter de gaspiller son stock de produits servant aux injections létales, dont la date de péremption était proche. Et, le mois dernier dans l’Etat de l’Alabama, un homme qui se trouvait dans le couloir de la mort depuis 35 ans – et avait échappé à sept dates d’exécution — a finalement été mis à mort. Pourquoi l’Amérique continue-t-elle d’exécuter des condamnés?

 

Suite à la décision de la Cour Suprême, en 1972, dans le cadre de l’affaire Furman contre Georgia, la peine capitale avait été mise en suspens. Cette peine était appliquée de manière  arbitraire et infondée, ce qui constituait une infraction à l’interdiction du Huitième Amendement visant les “sanctions cruelles et inhabituelles”, selon les juges. Si un facteur explique pourquoi certains criminels se voient condamner à mort, alors que ce n’est pas le cas pour la plupart d’entre eux, écrit Monsieur Potter Stewart, Juge à la Cour Suprême “c’est bien celui de l’origine ethnique, facteur inadmissible d’un point de vue constitutionnel”. Quatre ans plus tard, la Cour Suprême réintroduisait la peine de mort dans le cadre de l’affaire Gregg contre Georgia, par une majorité de 7 contre 2, sur le constat que les Etat avaient modifié leur législation relative à la peine capitale pour répondre aux inquiétudes soulevées par l’affaire Furman.

 

L’un des moyens de comprendre pourquoi l’Amérique continue de pratiquer la peine de mort consiste à examiner le Cinquième Amendement, qui prévoit que personne “ne se verra ôter la vie (...) en l’absence d’une application régulière de la loi”. Comment les auteurs de la constitution ont-ils pu interdire la peine capitale dans le Huitième Amendement alors que, dans le Cinquième, ils envisagent explicitement son existence? Dans l’affaire Gregg, le tribunal cite deux justifications pour le recours à la peine de mort : la justice qui châtie en fonction des seuls actes et l’effet dissuasif. Le châtiment, “expression de l’indignation morale de la société face à un comportement particulièrement choquant”, écrit Monsieur Stewart, est “essentiel dans une société harmonieuse, qui demande à ses citoyens de s’appuyer sur des procédures juridiques, plutôt que de compter sur soi-même pour réparer les injustices subies”. En d’autres termes, un crime abominable mérite une peine proportionnelle à sa gravité. Il reconnaît que les spécialistes ne sont pas d’accord entre eux quand il s’agit d’évaluer le pouvoir dissuasif de la peine capitale, mais, insiste-t-il, “il ne fait aucun doute que la peine de mort constitue un repoussoir important” pour certains criminels potentiels.

 

Depuis l’affaire Gregg, la Cour Suprême n’a cessé de réduire l’éventail des crimes susceptibles d’entraîner une condamnation à mort. L’auteur d’un viol était passible de la peine capitale en 1977. Les personnes souffrant de handicap mental et les mineurs échappent à la peine suprême depuis 2002 et 2005, respectivement. Toutefois, les chances sont faibles de voir cette peine, dont l’application a été plusieurs fois restreinte, enterrée pour de bon, ce, malgré la croisade menée par Stephen Breyer, Juge qui a exprimé son profond désaccord en 2015, dans l’affaire Glossip contre Gross, où il était demandé si l’un des composants des injections létales entraînait un risque de torture pour les prisonniers avant qu’ils ne décèdent. Plutôt que “d’essayer de faire du bricolage pour répondre aux failles juridiques de la peine de mort l’une après l’autre,” écrit-il, l’heure est venue “d’une discussion approfondie sur une question plus fondamentale : la peine de mort viole-t-elle ou non la constitution”. Il y a 23 ans, Harry Blackmun, Juge décédé depuis, prédisait, dans l’affaire Callins contre Collins, que le système d’application de la peine capitale en Amérique était “condamné à l’échec” et qu’alors “qu’il ne serait sans doute plus de ce monde pour le voir”, il “croyait que cela finirait par arriver". Sachant que la majorité conservatrice vient d’être renforcée à la Court Suprême, avec la présence de cinq juges de ce camp désormais, l’heure de rendre des comptes semble encore bien éloignée.


Source:
The Economist, S. M., 12 juin, 2017

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